Cluny Lectures: Compte rendu de la rencontre du 10 avril 2018

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Pour sa première rencontre de travail, Cluny Lectures a eu la joie d’accueillir deux nouveaux membres, portant ainsi le nombre des participants à dix. Après l’échange usuel d’informations générales concernant la littérature ou les nouvelles publications, nous avons présenté puis discuté deux de nos dix romans sélectionnés. Geneviève Langlott a non seulement présenté le roman Les Parapluies d’Erik Satie (cf. ci-dessous le compte rendu) mais nous a donné aussi des informations biographiques sur le compositeur. Puis Maryse Vincent a fait un compte rendu critique de Voir ailleurs qui je suis (cf. ci-dessous également). Dans les deux cas, les avis et appréciations étaient variés voire divergents. Le débat n’en a été que plus animé. La prochaine rencontre aura lieu le 12 juin 2018. Nous examinerons Mon Citronnier de Samantha Barendson et Maestro de Cécile Balavoine.


LES PARAPLUIES D’ERIK SATIE, 2017, Stéphanie Kalfon, Éditions Joëlle Losfeld

Stéphanie Kalfon est réalisatrice et scénariste. Dans une interview diffusée sur TV5 Monde, elle dit que c’est le rapport à la musique, au monde, au langage qui l’a fait aller vers Erik Satie : Elle voulait « faire entendre la partition de vie du compositeur. » Elle y explique ce qui l’a poussée à écrire cet hommage à Erik Satie : après avoir écouté pour la première fois la musique de Satie (une gymnopédie), elle se demande pourquoi elle a l’impression d’être écoutée par la musique qu’elle est en train d’écouter. C’est alors qu’elle fait des recherches sur la biographie d’Erik Satie et qu’elle constate qu’il y avait un grand malentendu entre celui-ci et ses contemporains qui l’ont pris pour un fou quand, après sa mort, ils ont découvert, entre autres, 14 parapluies dans la chambre sordide où il vivait à Arcueil.

C’est ce fait que reprend le titre du roman de Stéphanie Kalfon. Ce livre n’est pas une biographie. La chronologie des faits n’est respectée qu’en partie. Ce n’est pas vraiment un roman non plus, il n’y a pas de développement de l’action, et il serait impossible d’en faire un résumé. C’est une composition – pour reprendre un terme musical – qui met en lumière différents moments, différentes étapes ou épreuves douloureuses de la vie de Satie. La forme du texte surprend, irrite même, car certains passages sont difficilement déchiffrables. D’autre part, on ne sait pas trop si Stéphanie Kalfon cite Satie (dans les passages en lettres italiques) ou si elle se met dans la peau du compositeur pour exprimer ce qu’il dirait ou aurait dit. En tout cas le texte contient un grand nombre de réflexions pertinentes sur la vie.

L’auteure raconte peu, elle juxtapose en quelque sorte des instantanés, elle utilise les mots comme des coups de pinceau – ou devrait-on dire des notes, des phrases musicales ? – pour décrire les états d’âme de Satie, sa vie intérieure. Les images font preuve d’une très grande originalité. L’auteure joue avec la langue, semble ne vouloir supporter, à l’instar de Satie, aucune contrainte : parfois, sur de longs passages, elle imite les annotations (non-conformistes) qui accompagnent les partitions du musicien.

Pour qui ne connaît pas du tout la biographie d’Erik Satie, cet ouvrage, au caractère très poétique, nous renvoie l’image d’un homme d’une grande tristesse, qui souffre d’un mal de vivre infini. En tant que lecteur, on peut se demander comment il a fait pour résister si longtemps à ses conditions de vie misérables et à sa souffrance intérieure. Une lecture de sa biographie corrige cette impression déprimante et nous montre que la joie de vivre n’a pas été absente de sa vie … cela nous rassure.


VOIR AILLEURS QUI JE SUIS, 2017, Élisabeth Rollin, Éditions Passiflore, roman

Voir ailleurs qui je suis est le roman d’une quête identitaire à travers un travail d’introspection sans concession, un parcours jalonné de doutes et de choix cruciaux. Angèle est une femme paradoxale. Elle est efficace et fiable dans sa vie professionnelle de logisticienne, mais on ne peut pas compter sur elle dans l’amour ou l’amitié. Elle boit beaucoup, donne son corps à de nombreux hommes mais jamais son cœur. Très lucide, elle analyse précisément ce qu’elle pense ou ressent face aux autres. Elle fait remonter l’origine de son mal être à la mort prématurée de sa fille, elle en tire la conclusion qu’elle est une incapable et pratique une sorte d’autopunition. Angèle brûle sa colère perpétuelle en faisant du jogging. Symbole de fuite et de mouvement, ce jogging est un fil conducteur à travers le roman qui débute à Bordeaux, se termine dans une ferme de l’Ariège après avoir conduit l’héroïne en Inde, en Afrique, en Haïti pour y effectuer une huitaine de missions humanitaires. Angèle accomplit ses missions à la perfection, tous ses collaborateurs admirent sa rigueur. Elle seule continue de douter de sa propre valeur. Sa carapace dure et froide volera en éclat quand elle rencontrera deux orphelins du séisme d’Haïti (2010). Inconsciemment Angèle adopte alors un comportement qui a fait ses preuves : l’oubli de ses propres maux grâce au don de soi. Dans l’urgence humanitaire, elle apprend à repousser son mal de vivre. L’expérience de la détresse en Haïti déclenche enfin ses sentiments pour ses proches.

Le titre, Voir ailleurs qui je suis est un jeu de mots dérivé de l’expression « Va voir ailleurs si j’y suis », utilisée lorsqu’on veut se débarrasser de quelqu’un. Il existe aussi l’expression « voir ailleurs » qui peut aussi bien signifier tromper son / sa partenaire que sortir de ses zones de confort pour découvrir le reste du monde.

Élisabeth Rollin a trouvé un ton juste, une précision chirurgicale, pour fouiller méticuleusement les pensées et les émotions de son héroïne. Son écriture est moderne, authentique. À travers la rudesse, la crudité des propos d’Angèle, transparaît toujours sa fragilité, sa tendresse refoulée. Les lieux décrits, que ce soit Bordeaux, l’Ariège, l’Inde ou Haïti sont esquissés avec précision, chacun dégage sa propre atmosphère.

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