Cluny Lecture : rencontre du 27 octobre 2019

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Avec les deux derniers romans présentés lors de la saison 2019 de Cluny-Lectures, nous vous invitons à deux excursions : l’une en Méditerranée, l’autre dans l’Est de la France. Le ton de Noyé Vif (cf. compte rendu de Renate Wolf) et de Passé inaperçu (cf. compte rendu de Wolfgang Liebert) est pessimiste. Ces deux romans nous invitent à réfléchir à des aspects négatifs du monde contemporain : les réfugiés, le chômage, la guerre ; et au-delà, au racisme, à la solidarité, au terrorisme, à la contrainte et à la liberté.

Notre prochaine rencontre sera consacrée à un bilan de nos dix romans sélectionnés et au choix du lauréat / de la lauréate le 11 novembre 2019. À bientôt donc pour vous faire part du résultat !

NOYÉ VIF, 2018, Johann Guillaud-Bachet, Calmann-Lévi, roman

Le narrateur, réfugié d‘origine syrienne, seul survivant de sa famille à la suite d’une tempête en mer, fait partie d’un groupe de jeunes en stage de voile en Méditerranée. Ses souvenirs écrasants l’accompagnent. Composé de femmes et d’hommes, le groupe est hétéroclite. Les opinions politiques divergent, certains sont racistes, d‘autres bienveillants à l’égard des réfugiés. Le narrateur se sent souvent observé par les autres, mal à l’aise.

Le mauvais temps s’annonce, ils ne peuvent pas échapper à la tempête. Alors que le bateau risque de couler, le moniteur disparaît par-dessus bord, l’un des membres de l’équipage se blesse et doit rester alité. Un signal de détresse est lancé et reçu par un patrouilleur de la marine nationale qui se trouve dans les parages. C’est alors que le voilier et le patrouilleur captent un nouveau message de détresse d’un bateau transportant 240 migrants. Le patrouilleur ne précise pas qui sera sauvé en priorité. En attendant, les frictions montent à bord du voilier et chacun montre le fond de son caractère, l’instinct de survie combat les idéaux. Finalement, les passagers du voilier sont secourus les premiers, puis les migrants survivants. Le narrateur décrit alors des scènes horribles qui lui rappellent sa propre expérience une trentaine d’années auparavant. À bord du patrouilleur, il est interrogé comme s’il était un terroriste, les stagiaires de voile règlent leurs comptes entre eux. De retour sur terre, il observe comment les familles, la presse entourent les rescapés français. Personne ne s‘occupe de lui, il se sent oublié du reste du monde.

Sur une trame de roman d’aventures maritimes, Noyé vif traite d’un thème politique et humanitaire actuel avec beaucoup de suspense. L’auteur esquisse les caractères des protagonistes assez véridiquement. Le ton du roman est authentique, le langage utilisé correspond à la langue parlée par de jeunes adultes, enrichi d’un vocabulaire technique de la voile surabondant.

PASSÉ INAPERÇU, 2018, Gabrielle Schaff, Seuil, roman

Gabrielle Schaff est née en 1982 à Nancy. Cinéaste documentaliste, elle a fait des études de littérature et de cinéma. Elle perçoit le monde d’abord dans sa dimension visuelle. À partir des images de sa mémoire, de photos minutieusement décortiquées, de petites histoires et de la grande Histoire, elle a construit son premier roman. En annexe du roman, elle précise : Ce roman intègre quelques extraits du texte d’Alfred Schaff, Chronique de famille et témoignage, écrit en 2004 et dédié à ses enfants et petits-enfants. Il commence ainsi : „Lorsque nous disparaîtrons, vous serez nos seuls témoins“.

En plus de la narratrice qui s’exprime à la première personne, les protagonistes du roman sont Fahd, un Lorrain d’origine algérienne, les grands-parents de la narratrice, Fred et Thérèse, surtout Fred, un Lorrain qui a participé à la seconde Guerre mondiale, en tant que „Malgré-nous“, c’est-à-dire incorporé de force dans l’armée allemande pour lutter sur le front russe.

La trame du récit : La narratrice et Fahd préparent le tournage d’un film consacré aux „chibanis“, les retraités maghrébins venus travailler en France dans les années 1960 et qui y sont restés. Fahd devait faire des repérages en Lorraine, il s’est soudain volatilisé.

Il ne réapparaîtra plus au cours du roman. Désormais la narratrice double la préparation du tournage par la recherche de Fahd dans l’Est désindustrialisé de la France. Ce faisant elle réveille l’histoire de ses propres grands-parents dont les parents étaient nés allemands (1871-1918), eux étaient nés français après 1918. Un jour, la narratrice est convoquée par une juge au Palais de Justice pour donner des détails sur Fahd. Il est recherché – comme témoin ou comme coupable ? – dans une affaire.

Par le truchement du montage cinématographique, l’auteure montre comment des faits historiques peuvent apparaître ou disparaître. Comme un technicien du cinéma qui est l’intermédiaire entre deux mondes, le réel et le fictif, qui voit tout mais qu’on ne voit pas, Gabrielle Schaff questionne dans son roman la vérité, les faits, le rôle de Fahd, celui des Malgré-nous. La dernière phrase du roman précise avec lucidité : « J’ai des images, mais pas d’histoire. » C’est aussi l’impression que ce premier roman laisse au lecteur.

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