Cluny Lectures : rencontre du 16 avril 2019

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La deuxième rencontre de Cluny Lectures en 2019 a été marquée par la tragédie de l’incendie de Notre-Dame de Paris qui a eu lieu la veille. Édifice à la fois religieux et patrimonial, Notre-Dame est liée à l’Histoire de la France et de l’Europe, à chacun de nous donc. Elle représente le cœur de Paris, le cœur de la France, tant immatériellement que matériellement : le point de départ des quatorze routes nationales françaises est situé sur le parvis de Notre-Dame. C’est le point « zéro kilomètre », le début de la route, aussi de celle qu’Emmanuel Macron vient d’ouvrir en annonçant la reconstruction de la cathédrale.

Nous avons ensuite examiné deux romans à la fois dissemblables et proches. L’un parlant d’une révolte de paysans et d’ouvriers opprimés dans l’Angleterre du Moyen-Âge (cf. infra le compte rendu critique de Hubert Depenbusch sur Et j’abattrai l’arrogance des tyrans), l’autre de l’impasse économique et culturel dans lequel se trouvent les Français d’en bas au 21e siècle (cf. L’Été circulaire, compte rendu critique de Maryse Vincent). Deux romans qui ne sont pas s’en rappeler la révolte des gilets jaunes qui sévit en France depuis novembre 2018.

La prochaine rencontre aura lieu le 21 mai 2019, 15 heures, à l’hôtel Steigenberger. Florence Duthil nous présentera 1144 Livres de Jean Berthier, et Ulla Eckford-Jones Diên Biên Phù de Marc-Alexandre Oho.


ET J’ABATTRAI L’ARROGANCE DES TYRANS,2018,

Marie-Fleur Albecker, Aux Forges de Vulcain, roman

Marie-Fleur Albecker est née en 1981. Après des études d’histoire et de géographie à l’École Normale Supérieure de Paris, elle enseigne l’histoire et la géographie dans un lycée. En préparant un cours pour ses élèves sur le Moyen Âge anglais, l’auteure a découvert son thème : La Révolte des paysans de 1381, la première révolte occidentale. Dans le roman se côtoient des personnages historiques (John Wyclif, précurseur du protestantisme, Wat Tyler, grand chef de guerre, John Ball, prêtre vagabond demandant l’égalité des hommes) et des personnages fictifs, dont l’héroïne, Johanna Ferrour, une Jeanne d’Arc athée.

L’action se déroule pendant la Guerre de Cent ans entre la France et l’Angleterre. Le royaume d’Angleterre est ruiné par la guerre et la peste noire. Quand le roi d’Angleterre décide d’augmenter les impôts, les paysans se rebellent. Johanna participe aux réunions des paysans sans oser cependant prendre la parole. Elle se joint à leur marche vers Londres pour réclamer plus d’égalité, pas seulement entre les nobles et les paysans, les hommes libres et les serfs, mais surtout entre les hommes et les femmes, bien qu’elle ait accepté que le sexe soit une des « tâches ménagères ». Ils avancent, ils détruisent mais ne pillent pas. Leurs causes sont la liberté, la justice, l’humanité, la beauté l’espérance, pas l’enrichissement. Le roman nous parle de révolte, pas de révolution. Ni le roi, ni Dieu ne sont remis en cause. Les révoltés se voient comme « les soldats du Christ ». Les citations et exemples empruntés à la Bible ou aux Évangiles foisonnent. Le titre est une phrase du prophète Esaïe qui fait parler Dieu dans un verset de la Bible.

L’anachronisme du langage est un procédé stylistique dont se sert l’auteure pour souligner l’universalité des aspirations humaines et des réponses apportées à l’oppression. L’ironie, voire l’outrance, est un autre procédé permettant à Marie-Fleur Albecker d’exprimer son pessimisme et son amertume au sujet de la condition des femmes, au 14e comme au 21e siècles. Le récit historique lui permet d’ouvrir des perspectives sur notre époque, autant sur l’émancipation féminine que sur la corruption des dirigeants.


L’ÉTÉ CIRCULAIRE, 2018, Marion Brunet, Albin Michel, roman

Marion Brunet nous brosse le portrait de la population d’une petite ville du Vaucluse (tendance politique de droite et d’extrême-droite), plus précisément du Lubéron, région célèbre pour ses maisons secondaires restaurées par de riches parisiens et Anglais, concrètement par des artisans locaux, dont Manuel, le père des deux héroïnes, et Patrick, son meilleur copain.

Céline a 16 ans, elle est enceinte et refuse de donner le nom du père de l’enfant. Céline ne fait que dupliquer l’histoire de sa mère, à la différence que Manuel a épousé Séverine. Manuel est Espagnol de deuxième génération et déteste les étrangers, ses propres origines inclues. Mais on trouve toujours plus mal lotis à mépriser : les gitans, les arabes et les filles qui tombent enceintes. Manuel gagne tout juste sa vie comme maçon. Séverine est mère démissionnaire depuis longtemps. Le jour de l’accouchement, c’est la sœur cadette qui assistera la grande, les parents étant injoignables. Séverine est femme à tout faire à l’école municipale. Ils ne sont pas pauvres mais tirent le diable par la queue. Ils envient la moindre miette de mieux vivre qu’ils voient autour d’eux, que ce soient les économies des beaux-parents, la voiture du jeune voisin arabe ou pire, les riches vacanciers. Enfants comme parents s’adonnent à l’alcool et au sexe depuis l’âge de quatorze ans. La violence est leur langage, ils n’ont pas les mots pour exprimer leur détresse. Le manque d’éducation récurrent, le poids de l’héritage familial conduisent, littéralement, à la reproduction sociale. Alors qu’ils sont déjà déclassés, ils craignent le déclassement social, dans leur cas induit par la grossesse de Céline « fille mère ». La honte des parents va engendrer une escalade de violence.

Le quotidien de la France d’en bas est fait de fêtes foraines, de virées au centre commercial, d’apéro entre voisins, de petits trafics et d’intrusions nocturnes dans les piscines des riches. Les ados comme les parents tournent en rond, d’où le titre. « Circulaire » également car l’action débute par la fête foraine en début d’été et se termine un an plus tard lors de la même fête foraine.

À la croisée du roman d’initiation et du polar sociétal, le roman est empreint de violence psychologique, physique, verbale. L’auteure porte un regard aigu et sans concession sur l’intimité d’une famille hargneuse – substrat des gilets jaunes ? – à la fois victime et responsable de son sort.

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