Cluny Lecture : rencontre du 25 août 2020

Télécharger le CR en format word

Toujours placée sous le signe du voyage et de la rencontre des cultures, notre dernière séance de Cluny Lectures nous a proposé une pérégrination en Chine, une échappée au Maroc et une excursion dans la banlieue parisienne. Cheminement intérieur pour un moine, découverte des racines familiales pour un enseignant franco-marocain, portrait d’un présent désabusé pour des jeunes fans de football, que des héros masculins qui sont au centre de Le Singe sous la montagne (compte rendu critique de Wolfgang Liebert), Ceux que je suis (Ute Budelmann), Bleu, Blanc, Brahms (Renate Wolf).

Lors de notre prochaine rencontre prévue pour le 22 septembre, nous examinerons les romans suivants : Trois Jours à Berlin (Christine de Mazières), Baudelaire et Apollonie (Céline Debayle), Boy Diola (Yancouba Diémé).

LE SINGE SOUS LA MONTAGNE, 2019, Aodren Buart, Phébus, roman

À la demande de l’empereur, un moine chinois, Sanzan, traverse à pied la Chine de l’Est à l’Ouest à la recherche des écritures sacrées de Bouddha. L’auteur reprend certains des principaux personnages de La Pérégrination vers l’Ouest, l’une des quatre grandes nouvelles classiques de la littérature chinoise, du célèbre poète et nouvelliste chinois Wu Cheng’en de la dynastie Ming qui a vécu entre 1500 et 1582.

À part Sanzan, les principaux personnages sont la déesse Bodhisattva Guanyin qui guide et protège le moine, et le singe emprisonné sous le rocher de la montagne. La déesse propose de libérer le singe si le moine accepte d’être accompagné par l’animal qui le protègera pendant son périple douloureux et dangereux. Le singe avait été emprisonné par Bouddha à cause de son impertinence dans l’Empire céleste. Sanzan accepte. Alors qu’il prie sur le sommet de la montagne, celle-ci s’ouvre et le singe en sort. Ils continuent ensemble le périple et, malgré quelques caprices du singe, tout s’arrange bien. Après quelques jours de marche, le récit s’arrête.

Mais il y a un épilogue : Dans le monastère de Sanzan, un jeune moine constate que les branches d’un vieux pin se sont tournées vers l’Est. C’est le signe que le maître avait annoncé à ses disciples comme signe de son retour, avant son départ vers l’Ouest.

Ce roman est une fable qui insiste sur la relation de Sanzan à la nature qu’il admire profondément. Il est à la fois anxieux et courageux, il accepte sa lourde tâche. En parcourant la nature, il chante des poèmes et il s’ouvre aux hommes qu’il rencontre pendant sa marche.

CEUX QUE JE SUIS, 2019, Olivier Dorchamps, Éditions Finitudes, roman

La dernière volonté de Tarek, garagiste marocain à Clichy, est d’être enterré selon les rites et la tradition musulmane au Maroc qu’il a quitté des décennies plus tôt pour fuir la misère. Ses trois fils sont établis en France dans une vie laïque et libérale. Leur première réaction est donc l’incompréhension devant ce souhait. Marwan est celui qui accompagnera la dépouille en avion avec Kabic, l’ami de toujours du défunt. Mais plus qu’un dernier hommage rendu au père, c’est un rendez-vous avec l’histoire de la famille.

Le récit de la grand-mère, clé du roman, bouleverse Marwan. Par suite d’extrême pauvreté, dans les années 1950, Warda a été vendue par son père à l’âge de 13 ans à une riche famille de Casablanca pour devenir servante. Elle est violée par le fils, Hassan. Enceinte de Hassan, elle arrive à s’enfuir et est accueillie dans la famille de Kabic. Kabic et son ami rêvent de partir ensemble en France. Kabic part seul, son ami renonce à l’aventure. Il épouse Warda, ils élèvent « leur » fils Tarek. Kabic envoie régulièrement de l’argent pour l’éducation de l’enfant. Devenu adulte, Tarek quittera le Maroc pour s’établir à Clichy.

Marwan se sent français au plus profond de lui, bien qu’en France on lui fasse sentir qu’il est Marocain. Au Maroc, on lui fait comprendre qu’il n’est pas le bienvenu. En accompagnant la dépouille de son père au Maroc, il comprendra mieux ses racines, les secrets de famille restés jusque-là profondément enfouis, les valeurs que ses parents lui ont transmises et l’importance des liens familiaux.

C’est un roman sur l’exil et la recherche d’identité qui aborde avec justesse, respect, tendresse et finesse des sujets pourtant connus : le déracinement, la schizophrénie de la société marocaine (entre tradition et modernité) la double identité culturelle, le rapport complexe des immigrés avec leurs origines. Le titre du roman joue aussi sur l’ambiguïté – Ceux /Ce que je suis (être, suivre) – reflétant parfaitement les questionnements du personnage central.

Olivier Dorchamps fait vivre et parler ses personnages avec humanité, délicatesse, réalisme, mais aussi avec humour.

BLEU, BLANC, BRAHMS, 2019, Youssef Abbas, Actes Sud, roman

Un groupe de jeunes de banlieue est réuni pendant la finale de football Brésil / France en 1998, un drame national qui réunit toutes les classes sociales devant la télévision. Parmi les spectateurs, Hakim, jeune beur, et Yannik, beau blond, amis d’enfance, tous deux amoureux de Marianne, jeune femme issue d’un milieu bourgeois qui les accueille ce soir-là dans la maison de ses parents. Ils souhaitent réussir socialement, mais comment sortir de ce milieu de HLM malgré un bon cursus scolaire ?

Le troisième personnage du roman s’appelle Guy. Il est homosexuel, aime surtout les blonds (comme Yannik). Il vit dans le même bâtiment mais se distingue des autres par son âge et son habitude d’écouter de la musique de Brahms à plein volume. Son goût musical faisant pressentir son appartenance à une autre couche sociale et/ou culturelle, sa présence dans une HLM semble déplacée. On apprend effectivement à la fin du roman qu’il se retrouve en phase finale d’une vie totalement différente. Il était consultant dans la finance, il travaillait pour une entreprise américaine à Paris dont les mots d’ordre sont succès et gain d’argent. Guy n’a pas pu résister à la pression professionnelle sans se droguer, il a fini par quitter une vie qui l’a rendu malade et privé d’une vie normale, de relations personnelles sincères. Il s’est réfugié dans cette ville anonyme. Pendant le match, il fait un tri entre des arguments pour rester vivant et d’autres pour se suicider. La décision est prise à la fin du match, gagné par la France. Guy est le personnage antithétique des deux autres protagonistes, ambitieux et espérant encore réussir leur vie.

Structuré sur l’horaire minuté et les commentaires d’avant et de pendant le match, le récit donne l’impression de se dérouler en dehors du temps réel. Pendant un peu plus de 90 minutes et les quelques heures suivantes, les Français ont l’illusion de l’égalité sociale, ils semblent avoir oublié la misère d’un quotidien où les jeunes des cités sont en majorité des perdants.

Dieser Beitrag wurde unter Cluny Lectures veröffentlicht. Setze ein Lesezeichen auf den Permalink.