Cluny Lecture : rencontre du 22 septembre 2020

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En nous présentant Trois Jours à Berlin de Christine de Mazières, Hubert Depenbusch nous a invités à nous remémorer l’Histoire contemporaine de l’Allemagne. La discussion qui s’en suivit fut animée car la plupart d’entre nous avait des souvenirs personnels le ou la rattachant à la capitale de l’Allemagne. Et si ce n’était pas le cas, les informations fournies ont été enrichissantes. C’est ensuite à un voyage au cœur du 19e siècle que nous a conviés Florence Duthil en partageant avec nous l’étrange nuit de Baudelaire et Apollonie de Cécile Debayle.

Notre prochaine rencontre de travail aura lieu le 3 novembre. Nous examinerons nos deux derniers romans sélectionnés de la saison 2020 : À crier dans les ruines d’Alexandra Koszelyk et Boy Dioula de Yancouba Diémé. Après les voyages dans le temps de cette semaine, nous repartirons sur les chemins internationaux : l’Ukraine et le Sénégal.

TROIS JOURS À BERLIN, 2019, Christine de Mazières, Sabine Wespieser

Christine de Mazières, auteure binationale, met en scène les évènements historiques de novembre 1989 à Berlin. Le roman est structuré en 38 chapitres très courts qui portent – sauf un – les noms des protagonistes du texte. Chaque personnage parle à la première personne. Ce récit polyphonique garantit l’authenticité des détails de chaque biographie de ressortissants de Berlin Est comme de Berlin Ouest.

Cinq chapitres sont intitulés « Cassiel », le nom de de l’ange du film de Wim Wenders Der Himmel über Berlin (qui ne s’appelle pas anodinement Les Ailes du désir en français). Cassiel entre par la fenêtre chez Holger et Karin Brandt en train de suivre l’émission de la RDA Aktuelle Kamera le 9 novembre 1989.

Au regard des évènements politiques actuels – les succès de la AfD – Christine de Mazières souligne que la Réunification était une grande chance pour l’Allemagne. Non seulement l’auteure présente à travers ses portraits le système de la RDA – une société sans classes mais des privilégiés du Parti, soutenant les pacifistes de l’Ouest mais réprimant ceux de l’Est – mais elle fait aussi revivre les opposants du système et les conflits internes. Le pasteur Paul Kest incarne le conflit du christianisme – la fidélité au Parti, la défense des faibles, le Magnificat de Martin Luther, les grands résistants chrétiens au fascisme comme Dietrich Bonhoeffer, Maximilian Kolbe, Hans et Sophie Scholl. Le soldat posté à la frontière de la Bornholmer Straße illustre les conflits intérieurs des citoyens de la RDA : il obéit aveuglément aux ordres du parti jusqu’au 9 novembre, puis, ce soir-là, il prend sa première décision politique personnelle : « Je lève la barrière ». Finalement, le désir de certains de réformer le socialisme s’est opposé au désir des autres d’augmenter leur pouvoir d’achat. C’est le deutsche mark qui a gagné.

Christine de Mazières brosse en même temps le portrait d’une grande ville : le cimetière des Huguenots, les tombes de Fichte, Hegel, H. Mann, Brecht, des victimes du choléra en 1845, des personnes assassinées par la Gestapo en avril 1945. Elle nous guide également à travers les attractions importantes de Berlin.

BAUDELAIRE ET APOLLONIE, 2019, Céline Debayle, Arléa

En construisant une fiction basée sur des faits historiques, Cécile Debayle nous transporte en 1857 sous le Second Empire. C’est la grande époque des courtisanes, de la syphilis, du choléra et de la tuberculose, de l’absinthe, mais aussi une époque artistique foisonnante. Apollonie Sabatier, une salonnière surnommée « la Présidente » par ses admirateurs, compte Gustave Flaubert et Théophile Gautier parmi ses soupirants.

Elle se sent humiliée. Elle a décidé de régler ses comptes avec son amant Alfred Mosselman qui a commandé dix ans auparavant la statue « Femme piquée par un serpent » à Auguste Clésinger (la statue se trouve au Musée d’Orsay), symbole de volupté mettant en valeur sa plastique et dont la forte charge érotique fait scandale à Paris. À la même époque, un procès est intenté à Baudelaire pour Les Fleurs du Mal, un recueil de poèmes jugés également scandaleux. Six poèmes seront condamnés, dont À celle qui est trop gaie, composé pour Apollonie justement. Le « venin » du poème, qui a particulièrement choqué, établit un pont symbolique avec le serpent.

Apollonie se prépare ce soir-là à rencontrer Charles Baudelaire. Depuis plusieurs années le poète lui voue un amour platonique, lui écrit des poèmes. Un soir, un seul soir, il couche avec elle et la voilà précipitée de son socle. De déesse, elle devient une vulgaire femme de chair et de sang. Amoureuse du poète, jalouse de sa rivale Jeanne Duval, elle lasse son admirateur qui se détache d’elle du jour au lendemain.

Tout en mettant en scène Baudelaire et Apollonie avec émotion et sensibilité, ce roman s’adresse aux érudits spécialistes du poète et de ses collègues de l’époque, ou de l’histoire sociologique du Paris du 19e siècle. À travers la langue maîtrisée de l’auteure transparaît le texte des Fleurs du Mal.

Comme référence visuelle, on pourrait renvoyer au film de Bertrand Bonello L’Apollonide, souvenirs de la maison close (2011).

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