Cluny Lectures: Compte rendu da la 3e rencontre

Le groupe de Cluny Lectures s’est réuni pour la troisième fois vendredi 24 mars 2017 afin de présenter trois nouveaux romans. La discussion a été d’autant plus animée que les avis étaient divergents. Chacun et chacune a proposé son évaluation en fonction de critères différents concernant tant le fond que la forme. Une question récurrente a été de savoir si la reprise de mythes ou d’éléments historiques permettent d’enrichir notre compréhension du monde contemporain. Quoi qu’il en soit, des éclairages contrastés abordent un texte sous différentes perspectives et représentent donc un enrichissement dans la connaissance d’une œuvre littéraire.

Ute Budelmann a ouvert la séance en présentant Allegra de Philippe Rahmy, puis Dr. Helmut Meise nous a parlé de Celui-là est mon frère de Marie Barthelet et Geneviève Langlott a clos la séance avec le Vieux qui déjeunait seul de Léa Wiazemsky.

La prochaine rencontre aura lieu le 9 mai à 15 :00 chez Gisela Maibaum-Busecke. Marietta Schulz fera un compte rendu critique de Possédées (Frédéric Gros), Ulla Eckford-Jones de Lucie ou la vocation (Maelle Guillaud), Maryse Vincent de Algèbre (Yan Pradeau).


Notes de lecture

  • Allegra, Philippe Rahmy, roman, 2016, La Table Ronde

Philippe Rahmy est né à Genève en 1965. Il a fait des études classiques à l’Institut Florimond à Genève, régulièrement interrompues par une santé fragile, durant lesquelles il découvre la poésie et son propre besoin d’écrire. Il entame des études de philologie, conclues par un master en littérature et philosophie à l’université de Lausanne. Il est membre de la rédaction du site de création et de critique littéraires « Remue net ». Ses textes sont publiés en France, Suisse, USA, Italie, Chine.

Dans son roman « Allegra », Philippe Rahmy raconte l’histoire d’Abel, fils d’une famille arabe qui a quitté l’Algérie pour vivre en France. Abel est allé à Londres pour faire fortune. Il habite avec sa femme Lizzie qui est de retour de la maternité. Depuis la naissance d’Allegra, leur fille, Lizzie traite son mari en étranger. Les disputes se succèdent, et finalement Lizzie le chasse de leur appartement. D’autre part, son ami Firouz qui l’avait engagé pour travailler comme « trader » dans une banque islamique d’investissement, l’accuse d’avoir saboté l’algorithme. La banque a perdu énormément d’argent, et Abel est congédié. Sans domicile, sans travail, il erre à travers Londres.

Été 2012, les Jeux olympiques se préparent à Londres. La peur d’un attentat est dans l’air, les barrages de police partout. Échoué dans un hôtel « Le Salaam » au milieu de migrants et de réfugiés, Abel essaye de remettre de l’ordre dans sa vie. Firouz lui offre un nouveau « travail ». Pour cela Abel laisse pousser sa barbe, s’habille à la mode orientale et consacre son temps à construire une bombe. Vendredi 27 juillet 2012. La cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques débute. La bombe est prête. Abel enfile son sweat aux couleurs des bénévoles olympiques. Ses effets personnels finissent dans un sac-poubelle. Il désosse son ordinateur et brise le disque dur. Son sac à dos sur l’épaule, il se joint à un groupe de bénévoles, il entre dans l’arène sans être contrôlé et se retrouve assis à côté d’une fillette. Il l’aide à gonfler un ballon qui se déploie. Elle le laisse échapper, et le vent l’emporte. Des mains se lèvent, le ballon rebondit de spectateur en spectateur, d’un enfant à l’autre…Abel désactive le détonateur. La fillette prend sa main. Ses larmes viennent.

Allegra, sa fille, lui apparaît. Elle a les yeux fermés. Elle ne les rouvrira plus, Abel en porte la responsabilité.

L’auteur insère l’histoire individuelle d’Abel faite de culpabilité et de rachat dans l’Histoire coloniale de la France. Comme dans le récit « Le Silence de mon père », le héros est issu de l’immigration et, quoi qu’ayant fait des études en France, n’est pas intégré. Sa trajectoire n’est pas totalement différente de celle de ses parents bien que plus de 60 ans soient passés depuis la fin de l’empire colonial.

« Allegra » est un roman de haute tension. Il est quelquefois difficile de s’orienter car le présent et la réflexion sur le passé s’entremêlent. Un road-movie s’étale devant le lecteur, des « flash » illuminent lieux et rencontres. Bouleversant, fascinant !

  • Celui-là est mon frère, Marie Barthelet, roman, 2016, Buchet-Chastel

La jeune auteure française nous présente une histoire énigmatique à plusieurs points de vue. Nous nous retrouvons dans un régime dictatorial sans fixation locale ni temporelle, où des personnages principaux sans nom agissent comme dans un drame antique qui va inéluctablement à la catastrophe.

Le chef d’État est le personnage principal. Il écrit le roman à la première personne et ne cesse d’évoquer les souvenirs heureux de son enfance et de sa jeunesse qu’il a passées avec son frère adoptif, son copain inséparable à cette époque. Mais la réalité actuelle est fort différente, dure et cruelle, car ce même frère arrive dans la capitale à la tête d’une rébellion de la minorité ethnique dont il fait partie et qui a été opprimée depuis des générations. Le dictateur-écrivain ne réussit pas à se défaire de l’impact de ses souvenirs qui le condamnent au contraire à une passivité néfaste en face des fléaux d’origine obscure qui soudain frappent le pays, et de l’avance de la rébellion. Contre toute évidence il ne cesse de rêver d’une réconciliation avec le frère, mais celle-ci n’interviendra qu’après son humiliation.

Le langage du récit, concis et de haut niveau, semble approprié au caractère parabolique (?) du contenu, mais il m’a paru par trop elliptique, laissant peu de place à des éléments vitaux, comme p. e. les caractères et les sentiments des personnages. (Le faible volume du roman aurait profité de quelques pages supplémentaires consacrées à ces aspects.)

L’auteure a d‘ailleurs déclaré s’être inspirée pour ce roman de l’histoire biblique du Pharaon Ramsès et de Moïse, le juif qui libéra son peuple du joug égyptien – référence dont je n’ai compris ni l’évidence ni le sens.

  • Le Vieux qui déjeunait seul, Léa Wiazemsky, roman, 2016, Éditions Michel LAFON.

Clément, un vieux monsieur, vient tous les lundis manger dans le restaurant où travaille Clara, une jeune serveuse de vingt-sept ans. Il déjeune toujours à la même place et commande le même plat. Clara se prend d’affection pour ce vieux monsieur. Jusqu’ici, elle n’a pas remarqué que lui aussi s’intéressait à elle. Une remarque de Clara sur le livre qu’il a posé sur la table au restaurant sera le point de départ de conversations qui déboucheront peu à peu sur une profonde amitié entre Clément et elle. Cette compréhension mutuelle, cette relation étroite qui se crée entre les deux protagonistes trouve son explication dans leur biographie respective. Tous deux portent en eux des blessures qui ont leur origine dans les événements tragiques de la Seconde Guerre Mondiale.

Clara est mal dans sa peau : accablée par le passé de collaborateur de son grand-père maternel, elle ressent honte et culpabilité et s’interdit d’être heureuse. Clément, un ancien résistant qui a survécu à la déportation pendant la guerre, supporte la vie plus qu’il n’en jouit car il n’a jamais surmonté la perte de sa femme. En se confiant mutuellement ce qui les tourmente, chacun va redonner peu à peu à l’autre la joie de vivre. Clément trouve en Clara la petite fille qu’il aurait aimé avoir. Clara découvre en Clément le grand-père qu’elle n’a jamais eu et elle est en mesure d’ouvrir son cœur à Bastien, un jeune barman qui la courtise.

Le roman captive dès les premières lignes, séduit par la justesse et la sensibilité des observations.

L’auteure change de perspective à chaque chapitre : Clara et Clément – et plus tard Bastien – sont à tour de rôle narrateurs, ce qui permet au lecteur de se plonger facilement dans le monde intérieur de ces personnages. Dommage que la fin du roman, en correspondance avec le contenu, soit un peu à l’eau de rose.

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