Début de saison chez Cluny Lectures

Compte rendu de la rencontre du 19 mars 2019

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Cluny Lectures a commencé sa nouvelle saison de lecture de premiers romans le 19 mars 2019 dans un cadre bien hambourgeois, l’hôtel Steigenberger, qui nous accueille à Heiligengeistbrücke, vue sur un canal et ses mouettes inclue. Nous avons aussi le plaisir de compter un nouveau membre, Renate Wolf, dont la photo sera ajoutée à notre galerie de portraits lors de notre prochaine édition.

Alors que la littérature contemporaine foisonne de récits rapportant des relations entre une fille et une mère, nous avons examiné deux romans se penchant sur la relation entre un père et son fils. Pour être plus exact, dans Le Chien de Schrödinger dont nous a parlé Ute Budelmann, c’est un père qui nous expose son amour infini pour son fils ; et dans Apprendre à lire, présenté par Marie Herford, c’est le fils qui tente de gérer une relation conflictuelle avec son père. Vous pouvez en apprendre plus en consultant les deux comptes rendus critiques ci-dessous.

La prochaine rencontre aura lieu le 16 avril 2019, 15 heures, même adresse. Hubert Depenbusch nous présentera Et j’abattrai l’arrogance des tyrans de Marie-Fleur Albecker, et Maryse Vincent L’Été circulaire de Marion Brunet.


LE CHIEN DE SCHRÖDINGER, 2018, Martin Dumont, Delcourt, roman

Jean a élevé son fils seul à la suite du décès de sa femme morte dans un accident dont les circonstances non-éclairées le hantent. Était-ce un accident ou un suicide ? Pour ne pas perdre une miette de son fils, il devient chauffeur de taxi de nuit. Il s’occupe de Pierre le jour, il lui transmet aussi son goût pour la plongée sous-marine. Ensemble ils descendent dans les profondeurs de l’océan où ils se surveillent mutuellement. Âgé de vingt ans maintenant, Pierre est étudiant en biologie, mais il aime par-dessus tout écrire. Les signes de fatigue et de malaise s’accumulent, le verdict tombe : Pierre a un cancer incurable du pancréas. Jean culpabilise. Pourquoi n’a-t-il pas vu venir la maladie ?

Malgré la dureté du traitement, Pierre continue de travailler à son premier roman. Ce projet lui donne un but, lui permet de s’évader. Le livre achevé, il demande à son père de l’envoyer à des éditeurs qui tous refusent ou ignorent le manuscrit. Jean entreprend alors un voyage à Paris pour présenter lui-même le roman dans le monde de l’édition qui lui est étranger et qui l’intimide. Pierre est possédé par son rêve de publication. Pour lui offrir ce bonheur, Jean imagine une ruse : il met en scène une fausse éditrice prête à publier l’œuvre. Mentir à un malade, est-ce lui offrir ce que la vie lui refuse ou bien déjà ne plus le compter parmi les vivants ? De quoi cela dépend-il ? Avant tout du point de vue. La maladie s’aggrave, Pierre est moribond. Jean passe la dernière nuit à raconter à son fils sa vie comme elle aurait pu se dérouler, quel écrivain il est devenu…. Encore des mensonges ou des rêveries consolantes ? Jean a trahi la vérité mais trouvé finalement sa paix. De même avec la mort de sa femme puisque la vérité est morte avec elle. Comme il n’y a que des suppositions sur sa mort, on peut choisir quelle est la vérité.

Le titre du roman se réfère à des expériences de pensée que le physicien autrichien Ernst Schrödinger a faites en 1935 pour expliquer les paradoxes de la physique quantique. Dans l’expérience, on considère un chat comme en même temps mort et vivant – à l’instar de Pierre, destiné à mourir mais encore matériellement vivant. Le paradoxe de Schrödinger est une manière de résoudre un problème en utilisant l’imagination humaine quand les conditions expérimentales ne sont pas réalisables. Jean n’aime pas les chats, alors il imagine l’expérience avec un chien.

Le Chien de Schrödinger est un roman court au contenu dense. L’auteur ouvre des perspectives philosophiques dans une langue claire et simple. Les mots sont justes, les sentiments forts, pleins de pudeur, de douceur et de violence.


APPRENDRE À LIRE, Sébastien Ministru, 2018, Grasset, roman

Le titre de ce roman prête à confusion, il signifie à la fois l’apprentissage et l’enseignement de la lecture, et c’est ce dont il s’agit. C’est un roman où les hommes tiennent le devant de la scène. Il y a le fils, Antoine, la soixantaine, patron de presse, qui s’occupe de son père, un veuf acariâtre et bourru, âgé de 83 ans. Ce dernier a commencé sa vie comme enfant berger à 6 ans, seul dans les montagnes sardes, puis a été enfermé le reste de sa vie au fond d’une mine à charbon en Belgique. Il est analphabète, et à l’âge où on commence à tout oublier, il n’a plus qu’un désir : apprendre à lire. « Si tu avais été un vrai fils, tu m’aurais déjà appris. » Les raisons n’en sont pas clairement exprimées mais « peut-être que lire ça fait mourir moins vite » ou par crainte d’un au-delà imaginé comme seulement accessible aux gens instruits.

La didactique des langues est une science qu’Antoine ne maîtrise pas. Il délègue la tâche à Ron, l’amant d’un jour à l’enfance fabulée, qui mute en petit-fils indispensable. Ron réussit non seulement à inculquer au vieil homme quelques rudiments de lecture et d’écriture mais il se fait aussi aide-ménagère et fée du logis. La relation entre Antoine et son père a toujours été difficile, la présence bienveillante de Ron débloque la communication. Les dialogues sont pleins d’humour, parfois attendrissants.

Les femmes apparaissent peu dans ce roman mais n’en sont pas moins présentes. La mère est morte jeune, laissant le mari et le fils désemparés. Elle a été remplacée par une prostituée pour laquelle ni le père ni le fils n’éprouvent de sentiments chaleureux mais qui a cependant une fonction fondamentale : c’est elle qui lit au père les articles écrits par Antoine, alors que ce dernier croit que son père ne s’intéresse pas à son travail.

Un troisième pilier du roman est le couple homosexuel d’Antoine, son fonctionnement et les incartades via le sexe tarifié sur internet. Alex étant un peintre en vogue, Antoine fréquente un monde d’amateurs d’art riche et dépravé dans lequel il ne se sent pas à l’aise. Car si Antoine a réussi professionnellement, il n’a pas reçu de son père les clés lui permettant de se sentir à l’aise socialement.

Ron disparaît sans donner d’explication, laissant le père encore une fois désemparé. Alors Antoine accompagne son père aux sources de la famille, en Sardaigne, un voyage en demi-teinte, nostalgique, un peu triste, qui permet aux deux hommes de se rapprocher et au patriarche de mourir réconcilié.

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